Dès qu'un processus
chronique de dépendance tel que l'alcoolisme devient clairement
problématique, il a acquis une série de mécanismes
de défense psychologiques très sophistiqués et complexes
visant à protéger l'existence même de la dépendance
en minimisant les dissonances cognitives que vit le dépendant comme
résultat de ses comportements qui deviennent progressivement déraisonnables
envers lui-même et aussi toxiques envers les autres.
Bien qu'il s'imagine comme
libéré peut-être encore plus affranchi et leste que
libre! et bien qu'il ne tolérera aucune contradiction ou critique
à ses propres décisions, le dépendant est complètement
à la merci et sous la férule de sa dépendance.
En fait ses comportements
ne sont pas du tout déterminés par sa propre volonté
mais bien par les désirs insatiables de la dépendance qui
constitue et construit dorénavant sa réalité. Aux
prises avec la dépendance, le vrai moi (l'identité) est écrasé
ou éclipsé. Le faux moi (la personnalité) est érigé
à la place comme un gouvernement parallèle comme celui de
Vichy qui exécute les ordres et directives de son seigneur et maître,
la dépendance. Le dépendant croit qu'il fait ses propres
choix alors qu'en fait, ses décisions sont prises pour lui par sa
maladie, la dépendance. Cependant, bien que ça puisse paraître
si évident pour tous et que ce soit fréquemment criant pour
tous ceux et celles qui l'entourent, c'est habituellement la chose la plus
difficile pour le dépendant à admettre ou à reconnaître.
Le caractère même
de la dépendance est un processus biologique caché qui cherche
sans cesse la gratification et l'euphorie, sans égard aux conséquences
néfastes pour l'individu lui-même. Bien que de telles euphories
et gratifications soient obtenues assez rapidement, elles sont éphémères
intrinsèquement et par surcroît, les états de piètre
estime de soi sont suivis tout aussi précipitamment de l'état
de crise et de détresse originale.
Le dépendant achète
ainsi une rémission courte et passagère de sa dysphorie au
prix de plus d'ennuis plus tard. La dépendance est un genre d'échange,
quelque chose comme une sorte de pacte comme Faust avait signé avec
le diable. La dépendance ressemble aussi au fabuleux engin qui produisait
le mouvement perpétuel en générant sa propre énergie
pour fonctionner tandis que le dilemme de la personne dépendante
ressemble au pauvre habitant qui tient un loup au bout de ses bras loin
de sa gorge : dans une telle circonstance, tenir bon et lâcher prise
sont autant des choix indésirables que catastrophiques.
Parce que la dépendance
est un processus de blocages et fondamentalement inhumain, elle évolue
selon des signes et symptômes assez prévisibles que nous pouvons
utiliser pour mesurer le degré de sévérité
avec lequel elle a envahi l'identité et la personnalité de
l'individu atteint de cette maladie. Une série familière
de ces symptômes de la dépendance nous apparaît dans
ces excuses habituelles que le dépendant élabore pour lui-même
et pour les autres à cause des écarts et dissidences de ses
pensées irrationnelles et comportements toxiques qu'il fait avaler
à son entourage et qu'il gobe lui-même.
Les mécanismes de
défense les plus fréquemment employés et répétés
de manière stéréotypée par les dépendants
sont les suivants (mais les dépendants ne se limitent pas uniquement
à ceux-ci) :
Un problème! Quel
Problème?
Le déni, processus
inconscient et primitif est classifié comme un mécanisme
de défense psychotique parce que le dépendant nie ou déforme
sa propre réalité. Ceux et celles qui sont affectés
par un déni psychotique sont littéralement dans une autre
réalité. Ainsi un alcoolique avec toutes les conséquences
néfastes de sa façon pathologique de boire (problèmes
sur le plan légal, de sa santé, dans sa vie de couple ou
professionnelle) peut (même si c'est difficile et peut être
impossible de le croire) s'évertuer à nier, tout en s'indignant
et se présumant honnête, qu'il a un problème d'alcool.
Il ne comprend pas ce que des gens essaient de lui faire entendre en critiquant
son boire et il est aussi vraiment blessé et choqué par leurs
propos qu'il perçoit comme des attaques insensées et bornées
contre lui. Il réagit souvent à l'expression de ces préoccupations
à propos des quantités ou fréquences de son boire
avec des ressentiments, de l'apitoiement et bien sûr, plus de consommations.
Je ne suis pas si pire
que ça!
La minimisation et la réduction
des constats de l'évidence des problèmes liés à
la dépendance remplissent les vides laissés par la négation
et couvrent les échecs du déni psychotique à s'adapter
à la réalité qui répond complètement
aux exigences de la dépendance. Le dépendant admet que ses
difficultés existent mais il maintient avec force voix, souvent
en face d'une montagne de preuves incroyables et accablantes, qu'elles
ne sont pas si pires que ça et que ce que les autres prétendent
qu'elles sont.
Ce n'était pas
de ma faute! ou Ça n'est pas si pire que ça en a l'air!
La rationalisation et la
projection du blâme cherchent à écarter le dépendant
des conséquences funestes et tragiques de ses actions (ce sont les
gestes et contorsions de la maladie de la dépendance).
Le dépendant construit
et soutient même violemment des explications étranges et inhabituelles
: par exemple, l'employeur qui l'a congédié, ou l'officier
de police qui l'a arrêté, ou sa femme qui a demandé
le divorce, ont tous été incités à agir
ainsi par des mobiles malhonnêtes et franchement pervers
Tout ce que je veux c'est
un petit répit, un peu de soulagement!
La justification d'un comportement
compulsif de dépendance verse souvent dans l'apitoiement et emprunte
subtilement à la manipulation. Le dépendant se sent une victime,
peut-être même un martyr de ce qu'il croit être les tristes
circonstances de son existence jusqu'alors et cherche consolation parce
qu'il est malade et gravement atteint. Il se croit lui-même une exception,
qu'il a droit à un traitement exceptionnel incluant une rémission
et au moins la rédemption de ses péchés causés
par ses comportements compulsifs et toxiques. L'idée même
d'abandonner ses consommations ou ses comportements compulsifs, ou même
pire que ça, que sa dépendance lui soit arrachée par
des requêtes et des exigences venant des gens pas très gentils
ou sympathiques, le remplit d'effroi et de colère. Ignorant le fait
que c'est sa dépendance et ses conséquences néfastes
et désagréables qui le rendent misérable, il croit
faussement que sa dépendance est sa seule source de confort et de
sécurité qui lui soit accessible dans ce monde cruel et impitoyable.
Je ne fais de tort ou
de mal à personne sauf à moi!
Ce moyen de défense
souvent exprimé par des phrases comme "Laisse-moi tranquille! Je
ne nuis à personne sauf peut-être à moi! " invoque
une approche légaliste comme si c'était un droit fondamental
de se faire du tort à soi en même temps qu'il nie les suites
interpersonnelles et sociales des comportements compulsifs et toxiques
du dépendant. Le dépendant incapable ou ne désirant
pas reconnaître comment ses comportements peuvent en fait léser
d'autres personnes proclame à hauts cris son indignation et sa vertu
: "C'est MA vie et je peux faire ce qui me tente avec!" Curieusement et
c'est assez révélateur le dépendant ne trouve pas
le concept incongru de savoir qu'il peut se détruire lui-même
et volontairement s'estropier, peu importe si dans la mêlée,
il blesse ou lèse d'autres personnes.
Personne ne peut deviner
tout le trouble que j'ai vécu!
Le dépendant réclame
un statut spécial en se vautrant dans un épisode d'apitoiement.
Parce que c'est rarement aussi persuasif auprès des autres que ce
ne l'est avec lui-même les autres ont de la difficulté à
voir comment les problèmes de quelqu'un, peu importe leur gravité
ou l'injustice qui sont bien réelles, justifient d'ajouter plus
de misère à celle déjà présente par
des comportements compulsifs et toxiques théoriquement évitables
— le dépendant frustré habituellement vit plus de colère
et d'humeur renfrogné, maussade, convaincu que "personne ne peut
vraiment me comprendre". Cela permet, du moins dans l'esprit du dépendant,
plus d'actings out flagrants et des comportements toxiques démesurés.
Je dois être moi-même
!
Incapable de séparer
son identité et sa personnalité de sa dépendance,
le dépendant ne s'imaginer lui-même ou sa vie sans sa dépendance.
L'idée même
de "perdre" sa dépendance est inconcevable pour lui puisqu'il croit
que ça signifie le deuil de lui-même tel qu'il est et la perte
de tout ce qui lui est cher présentement. Le dépendant peint
un portrait romantique de lui-même et des autres bien que nous pouvons
y apercevoir certaines répercussions et séquelles de sa dépendance.
Ce portrait est un effort de rationalisation de cette folie qui entoure
ces comportements autodestructeurs pour les camoufler sous des couleurs
de gloire, et représente même la croissance et la réalisation
sur le plan personnel comme tragiques, et symbolise rien d'autre. Par exemple,
l'abstinence et la sobriété sont perçues comme un
état de déchéance et comme générant
des morts vivants à laquelle une sortie côté cimetière
assurée par la dépendance semble encore plus désirable
et préférable. Le fait que plusieurs dépendants croient
assez clairement en de telles divagations est un témoignage très
clair de la virulence de la déraison de la dépendance.
JE DOIS boire ou me geler
pour exécuter mon travail!
Le dépendant insiste
qu'il ne pourra gagner sa vie ou qu'il ne pourra avoir du succès
s'il est forcé d'abandonner les comportements de plus en plus autodestructeurs
et toxiques de sa dépendance. Il peut percevoir ses consommations
comme "le prix de faire des affaires". Dans la grande majorité des
cas, bien sûr, sa dépendance a déjà commencé
à lui nuire dans sa performance au travail, dans son jugement et
dans ses relations interpersonnelles.
Tu n'es pas si innocente
toi-même!
Suivant l'adage qui dit
que "la meilleure défensive est une bonne offensive", le dépendant
cherche à tourner l'attention et à distraire son entourage
en attaquant "l'attaquant", c'est-à-dire celui ou celle qui va mettre
le doigt sur le "bobo", sa dépendance. Sous l'impression qu'il doit
défendre à tout prix sa dépendance telle qu'elle est,
la plupart des dépendants possèdent un œil vif et une langue
tranchante pour se saisir et utiliser les déficiences et les défauts
de caractère des autres même s'ils nient les leurs et les
qualifient de différents. Ainsi le dépendant est très
perspicace et quelquefois diaboliquement clairvoyant pour exploiter les
vulnérabilités et les tendons d'Achille de ceux et
celles qui, volontairement ou non, menacent la continuation de sa dépendance.
Fais-moi confiance Je
sais ce que je fais!
Le dépendant, aveuglé
et ne pouvant percevoir la vraie nature de sa maladie à cause de
son déni, va chercher à réassurer ceux et celles qui
ont commencé à mettre en doute son jugement, peut-être
même son état de santé mentale, qu'il a la maîtrise
de sa vie et tout va bien dans le meilleur du monde. Il informe les autres
autour de lui qui est parfaitement conscient qu'il a un problème
ou que ce sera un problème dans peu de temps, qu'il n'a pas l'intention
que ça dégénère et qu'il va prendre les moyens
pour que ça reste sous contrôle.
Je peux arrêter
n'importe quand, quand je le désire!
Inconscient que c'est sa
dépendance et non lui qui décide ce qui se passe, le dépendant
croit vraiment qu'il pose une choix de poursuivre ses activités
comme il le fait et qu'ainsi, il peut stopper ses comportements autodestructeurs
n'importe quand, s'il décide de le faire. Malheureusement, pour
lui et pour ceux et celles qui doivent composer avec ses consommations
et vivre avec lui, il ne prend pas souvent la décision de cesser
de consommer (même qu'il peut le faire s'il s'y met ou s'il le désire,
& etc. & etc. & etc…)
Je ne suis pas si pire
que d'autres que je connais!
C'est presque une rationalisation
universellement utilisée. Le dépendant se compare à
des gens qui selon ses croyances sont pires que lui et conclut à
partir de cet argument qu'il n'y a pas de raison pour personne de s'inquiéter
de ses comportements compulsifs.
Je DOIS boire (ou me geler)
pour noyer mes peines!
Souvent victime ou survivant
d'une enfance difficile dans une famille dysfonctionnelle, le dépendant
essaye de persuader les autres, comme il s'est lui-même passablement
convaincu de la chose : il doit continuer ses comportements autodestructeurs
de sa dépendance qui sont une réaction tout à fait
naturelle et saine à ses problèmes et tourments.
Maintenant ce n'est pas
vraiment le bon moment d'arrêter!
Une autre rationalisation
presque universellement utilisée. "Je vais cesser demain" est un
refrain familier lorsque la dépendance est présente. Le temps
pour s'arrêter de consommer ou de boire n'est jamais propice même
si le dépendant peut paraître sincère et être
déterminé à cesser d'entretenir sa dépendance
"juste le temps de me sortir de cette impasse. Il peut même se convaincre
lui-même et tenter de persuader les autres que de cesser de se geler
ou de répéter ses comportements compulsifs maintenant est
une idée qui serait désastreuse et une gaffe monumentale,
et que les chances de succès seront supérieures s'il remet
à plus tard cette tentative de stopper ses comportements compulsifs…
lorsque le temps sera plus favorable. Le dépendant
se compare
Ça ne se reproduira
plus jamais, en aucun cas!
À la suite d'un épisode
particulièrement douloureux ou embarrassant de boire ou de consommations
incontrôlées, le dépendant souvent rempli de remords
et de sanglots, promet à ceux et celles qu'il a blessé ou
lésé que rien, qu'absolument rien ne pourra le faire reboire,
reconsommer ou répéter ses comportements compulsifs . Il
peut aussi être le premier à s'auto-flageler ou à s'écorcher
vif pour son péché inpardonnable, comme démonstration
de son esprit de pénitence et pour réassurer ceux et celles
qu'il a offensé ou choqué. Bien que ce soit presque toujours
efficace une première fois pour diminuer les angoisses et pour soigner
les plaies, il perd rapidement de sa valeur lorsqu'il est répété
puisqu'il entraîne le scepticisme.
Personne ne va me dire
À MOI ce que je dois faire!
Les problèmes causés
par la maladie de la dépendance peuvent être esquivés
ou voilés par quelque chose comme ces bons vers de Patrick Henry
: "Donnez-moi la liberté ou donnez-moi la mort" ("Give me liberty
or give me death!"). En se centrant sur la liberté de faire comme
il l'entend lire la liberté de sa dépendance d'agir comme
elle le commande le dépendant évite la question plus difficile
qui se pose concernant la logique et la folie de ses comportements. Le
dépendant se donne un air de défi ou de contestation, comme
moyen fréquemment utilisé pour l'empêcher de se regarder
lui-même.
Je serais OK si ce n'était
de toi, c'est de ta faute!
Le dépendant blâme
ses comportements compulsifs sur les personnes significatives, habituellement
son épouse ou conjointe. Il est plein de ressentiments et de lamentations
concernant le sort qui lui est réservé dans cette relation,
la façon dont il est traité, et utilise sa "triste" condition
pour justifier sa dépendance. Puisque les plus fréquentes
causes d'amertumes et de rancoeurs chez les dépendants surgissent
de la critique des autres en regard de leurs comportements compulsifs et
puisque la réaction caractéristique du dépendant à
de telles critiques, c'est une escalade des comportements toxiques, ce
processus tend à se perpétuer par lui-même. Le dépendant
est assez cruel en exagérant, en mettant en lumière ou en
exploitant chaque défaut ou déficience des personnes significatives
ou il va jusqu'à en fabriquer pour justifier ou rationaliser ses
propres comportements déraisonnables.
Réfléchis
bien à tout ce que j'ai fait pour toi!
Un autre truc de culpabilisation
orchestré pour désarmer ou pour détourner l'attention
des critiques vers autre chose que ses comportements destructeurs. Le dépendant
fait référence aux longues heures de travail, aux tâches
pénibles de son emploi, au stress professionnel, au cran matériel
ou social de sa famille et ce sont des tentatives de gagner la sympathie
ou la complicité face à ses comportements qui sont devenus
dangereux pour lui-même et pour les autres.
Je n'ai pas de temps (ou
d'argent) pour aller chercher de l'aide!
Cet artifice est presque
toujours déployé quand il est question de chercher
de l'aide professionnelle ou d'assister à des meetings AA ou de
d'autres groupes de support et d'entraide. Si le dépendant fait
le premier pas pour demander de l'aide souvent à cause de pressions
extérieures la probabilité est de 98 % qu'il ne sera pas
d'accord avec la fréquence, l'intensité ou la durée
de l'aide recommandée. La minimisation du problème et la
fausse croyance que ce problème peut être solutionné
par des professionnels très savants dans ce domaine sont des demi
mesures qui font plus partie de la règle que de l'exception en matière
de dépendances.
Je peux régler
ça tout seul!
Une autre rationalisation
quasiment utilisée partout. Le dépendant reconnaît
finalement et croit qu'il a une difficulté majeure, que son problème
est significatif mais il est obstiné et refuse de demander de l'aide
prétendant qu'il peut composer avec ce problème par ses propres
moyens plutôt que de chercher de l'aide auprès de professionnels
ou de groupes d'entraide. Parce qu'il ne comprend pas la véritable
nature de sa maladie, il suppose que le rétablissement n'est qu'une
affaire de volonté et que ce serait superflu ou même une honte,
un déshonneur de demander de l'aide alors qu'il devrait pouvoir
être en mesure de le faire par lui-même.
Traduit par Gilles Vinet, Au
Centre de la Vie
Les textes originaux en
anglais de l'abrégé et de l'exposé se trouvent à
l'adresse suivante : http://www.bma.wellness.com/
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