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Dossier dépendance - Gilles Vinet

 
Les Excuses d'Alcooliques
Original sous le titre : Excuses Alcoholics Make par Floyd P. Garrett, M.D. - Traduit et adapté par Gilles Vinet

Dès qu'un processus chronique de dépendance tel que l'alcoolisme devient clairement problématique, il a acquis une série de mécanismes de défense psychologiques très sophistiqués et complexes visant à protéger l'existence même de la dépendance en minimisant les dissonances cognitives que vit le dépendant comme résultat de ses comportements qui deviennent progressivement déraisonnables envers lui-même et aussi toxiques envers les autres.

Bien qu'il s'imagine comme libéré peut-être encore plus affranchi et leste que libre! et bien qu'il ne tolérera aucune contradiction ou critique à ses propres décisions, le dépendant est complètement à la merci et sous la férule de sa dépendance.
En fait ses comportements ne sont pas du tout déterminés par sa propre volonté mais bien par les désirs insatiables de la dépendance qui constitue et construit dorénavant sa réalité. Aux prises avec la dépendance, le vrai moi (l'identité) est écrasé ou éclipsé. Le faux moi (la personnalité) est érigé à la place comme un gouvernement parallèle comme celui de Vichy qui exécute les ordres et directives de son seigneur et maître, la dépendance. Le dépendant croit qu'il fait ses propres choix alors qu'en fait, ses décisions sont prises pour lui par sa maladie, la dépendance. Cependant, bien que ça puisse paraître si évident pour tous et que ce soit fréquemment criant pour tous ceux et celles qui l'entourent, c'est habituellement la chose la plus difficile pour le dépendant à admettre ou à reconnaître.

Le caractère même de la dépendance est un processus biologique caché qui cherche sans cesse la gratification et l'euphorie, sans égard aux conséquences néfastes pour l'individu lui-même. Bien que de telles euphories et gratifications soient obtenues assez rapidement, elles sont éphémères intrinsèquement et par surcroît, les états de piètre estime de soi sont suivis tout aussi précipitamment de l'état de crise et de détresse originale.

Le dépendant achète ainsi une rémission courte et passagère de sa dysphorie au prix de plus d'ennuis plus tard. La dépendance est un genre d'échange, quelque chose comme une sorte de pacte comme Faust avait signé avec le diable. La dépendance ressemble aussi au fabuleux engin qui produisait le mouvement perpétuel en générant sa propre énergie pour fonctionner tandis que le dilemme de la personne dépendante ressemble au pauvre habitant qui tient un loup au bout de ses bras loin de sa gorge : dans une telle circonstance, tenir bon et lâcher prise sont autant des choix indésirables que catastrophiques.

Parce que la dépendance est un processus de blocages et fondamentalement inhumain, elle évolue selon des signes et symptômes assez prévisibles que nous pouvons utiliser pour mesurer le degré de sévérité avec lequel elle a envahi l'identité et la personnalité de l'individu atteint de cette maladie. Une série familière de ces symptômes de la dépendance nous apparaît dans ces excuses habituelles que le dépendant élabore pour lui-même et pour les autres à cause des écarts et dissidences de ses pensées irrationnelles et comportements toxiques qu'il fait avaler à son entourage et qu'il gobe lui-même.
Les mécanismes de défense les plus fréquemment employés et répétés de manière stéréotypée par les dépendants sont les suivants (mais les dépendants ne se limitent pas uniquement à ceux-ci) :

Un problème! Quel Problème?
Le déni, processus inconscient et primitif est classifié comme un mécanisme de défense psychotique parce que le dépendant nie ou déforme sa propre réalité. Ceux et celles qui sont affectés par un déni psychotique sont littéralement dans une autre réalité. Ainsi un alcoolique avec toutes les conséquences néfastes de sa façon pathologique de boire (problèmes sur le plan légal, de sa santé, dans sa vie de couple ou professionnelle) peut (même si c'est difficile et peut être impossible de le croire) s'évertuer à nier, tout en s'indignant et se présumant honnête, qu'il a un problème d'alcool. Il ne comprend pas ce que des gens essaient de lui faire entendre en critiquant son boire et il est aussi vraiment blessé et choqué par leurs propos qu'il perçoit comme des attaques insensées et bornées contre lui. Il réagit souvent à l'expression de ces préoccupations à propos des quantités ou fréquences de son boire avec des ressentiments, de l'apitoiement et bien sûr, plus de consommations.

Je ne suis pas si pire que ça!
La minimisation et la réduction des constats de l'évidence des problèmes liés à la dépendance remplissent les vides laissés par la négation et couvrent les échecs du déni psychotique à s'adapter à la réalité qui répond complètement aux exigences de la dépendance. Le dépendant admet que ses difficultés existent mais il maintient avec force voix, souvent en face d'une montagne de preuves incroyables et accablantes, qu'elles ne sont pas si pires que ça et que ce que les autres prétendent qu'elles sont.

Ce n'était pas de ma faute! ou Ça n'est pas si pire que ça en a l'air!
La rationalisation et la projection du blâme cherchent à écarter le dépendant des conséquences funestes et tragiques de ses actions (ce sont les gestes et contorsions de la maladie de la dépendance).
Le dépendant construit et soutient même violemment des explications étranges et inhabituelles : par exemple, l'employeur qui l'a congédié, ou l'officier de police qui l'a arrêté, ou sa femme qui a demandé le divorce,  ont tous été incités à agir ainsi par des mobiles malhonnêtes et franchement pervers

Tout ce que je veux c'est un petit répit, un peu de soulagement!
La justification d'un comportement compulsif de dépendance verse souvent dans l'apitoiement et emprunte subtilement à la manipulation. Le dépendant se sent une victime, peut-être même un martyr de ce qu'il croit être les tristes circonstances de son existence jusqu'alors et cherche consolation parce qu'il est malade et gravement atteint. Il se croit lui-même une exception, qu'il a droit à un traitement exceptionnel incluant une rémission et au moins la rédemption de ses péchés causés par ses comportements compulsifs et toxiques. L'idée même d'abandonner ses consommations ou ses comportements compulsifs, ou même pire que ça, que sa dépendance lui soit arrachée par des requêtes et des exigences venant des gens pas très gentils ou sympathiques, le remplit d'effroi et de colère. Ignorant le fait que c'est sa dépendance et ses conséquences néfastes et désagréables qui le rendent misérable, il croit faussement que sa dépendance est sa seule source de confort et de sécurité qui lui soit accessible dans ce monde cruel et impitoyable.

Je ne fais de tort ou de mal à personne sauf à moi!
Ce moyen de défense souvent exprimé par des phrases comme "Laisse-moi tranquille! Je ne nuis à personne sauf peut-être à moi! " invoque une approche légaliste comme si c'était un droit fondamental de se faire du tort à soi en même temps qu'il nie les suites interpersonnelles et sociales des comportements compulsifs et toxiques du dépendant. Le dépendant incapable ou ne désirant pas reconnaître comment ses comportements peuvent en fait léser d'autres personnes proclame à hauts cris son indignation et sa vertu : "C'est MA vie et je peux faire ce qui me tente avec!" Curieusement et c'est assez révélateur le dépendant ne trouve pas le concept incongru de savoir qu'il peut se détruire lui-même et volontairement s'estropier, peu importe si dans la mêlée, il blesse ou lèse d'autres personnes.

Personne ne peut deviner tout le trouble que j'ai vécu!
Le dépendant réclame un statut spécial en se vautrant dans un épisode d'apitoiement. Parce que c'est rarement aussi persuasif auprès des autres que ce ne l'est avec lui-même les autres ont de la difficulté à voir comment les problèmes de quelqu'un, peu importe leur gravité ou l'injustice qui sont bien réelles, justifient d'ajouter plus de misère à celle déjà présente par des comportements compulsifs et toxiques théoriquement évitables — le dépendant frustré habituellement vit plus de colère et d'humeur renfrogné, maussade, convaincu que "personne ne peut vraiment me comprendre". Cela permet, du moins dans l'esprit du dépendant, plus d'actings out flagrants et des comportements toxiques démesurés.

Je dois être moi-même !
Incapable de séparer son identité et sa personnalité de sa dépendance, le dépendant ne s'imaginer lui-même ou sa vie sans sa dépendance.
L'idée même de "perdre" sa dépendance est inconcevable pour lui puisqu'il croit que ça signifie le deuil de lui-même tel qu'il est et la perte de tout ce qui lui est cher présentement. Le dépendant peint un portrait romantique de lui-même et des autres bien que nous pouvons y apercevoir certaines répercussions et séquelles de sa dépendance. Ce portrait est un effort de rationalisation de cette folie qui entoure ces comportements autodestructeurs pour les camoufler sous des couleurs de gloire, et représente même la croissance et la réalisation sur le plan personnel comme tragiques, et symbolise rien d'autre. Par exemple, l'abstinence et la sobriété sont perçues comme un état de déchéance et comme générant des morts vivants à laquelle une sortie côté cimetière assurée par la dépendance semble encore plus désirable et préférable. Le fait que plusieurs dépendants croient assez clairement en de telles divagations est un témoignage très clair de la virulence de la déraison de la dépendance.

JE DOIS boire ou me geler pour exécuter mon travail!
Le dépendant insiste qu'il ne pourra gagner sa vie ou qu'il ne pourra avoir du succès s'il est forcé d'abandonner les comportements de plus en plus autodestructeurs et toxiques de sa dépendance. Il peut percevoir ses consommations comme "le prix de faire des affaires". Dans la grande majorité des cas, bien sûr, sa dépendance a déjà commencé à lui nuire dans sa performance au travail, dans son jugement et dans ses relations interpersonnelles.

Tu n'es pas si innocente toi-même!
Suivant l'adage qui dit que "la meilleure défensive est une bonne offensive", le dépendant  cherche à tourner l'attention et à distraire son entourage en attaquant "l'attaquant", c'est-à-dire celui ou celle qui va mettre le doigt sur le "bobo", sa dépendance. Sous l'impression qu'il doit défendre à tout prix sa dépendance telle qu'elle est, la plupart des dépendants possèdent un œil vif et une langue tranchante pour se saisir et utiliser les déficiences et les défauts de caractère des autres même s'ils nient les leurs et les qualifient de différents. Ainsi le dépendant est très perspicace et quelquefois diaboliquement clairvoyant pour exploiter les vulnérabilités  et les tendons d'Achille de ceux et celles qui, volontairement ou non, menacent la continuation de sa dépendance.

Fais-moi confiance Je sais ce que je fais!
Le dépendant, aveuglé et ne pouvant percevoir la vraie nature de sa maladie à cause de son déni, va chercher à réassurer ceux et celles qui ont commencé à mettre en doute son jugement, peut-être même son état de santé mentale, qu'il a la maîtrise de sa vie et tout va bien dans le meilleur du monde. Il informe les autres autour de lui qui est parfaitement conscient qu'il a un problème ou que ce sera un problème dans peu de temps, qu'il n'a pas l'intention que ça dégénère et qu'il va prendre les moyens pour que ça reste sous contrôle.

Je peux arrêter n'importe quand, quand je le désire!
Inconscient que c'est sa dépendance et non lui qui décide ce qui se passe, le dépendant croit vraiment qu'il pose une choix de poursuivre ses activités comme il le fait et qu'ainsi, il peut stopper ses comportements autodestructeurs n'importe quand, s'il décide de le faire. Malheureusement, pour lui et pour ceux et celles qui doivent composer avec ses consommations et vivre avec lui, il ne prend pas souvent la décision de cesser de consommer (même qu'il peut le faire s'il s'y met ou s'il le désire, & etc. & etc. & etc…)

Je ne suis pas si pire que d'autres que je connais!
C'est presque une rationalisation universellement utilisée. Le dépendant se compare à des gens qui selon ses croyances sont pires que lui et conclut à partir de cet argument qu'il n'y a pas de raison pour personne de s'inquiéter de ses comportements compulsifs.

Je DOIS boire (ou me geler) pour noyer mes peines!
Souvent victime ou survivant d'une enfance difficile dans une famille dysfonctionnelle, le dépendant essaye de persuader les autres, comme il s'est lui-même passablement convaincu de la chose : il doit continuer ses comportements autodestructeurs de sa dépendance qui sont une réaction tout à fait naturelle et saine à ses problèmes et tourments.

Maintenant ce n'est pas vraiment le bon moment d'arrêter!
Une autre rationalisation presque universellement utilisée. "Je vais cesser demain" est un refrain familier lorsque la dépendance est présente. Le temps pour s'arrêter de consommer ou de boire n'est jamais propice même si le dépendant peut paraître sincère et être déterminé à cesser d'entretenir sa dépendance "juste le temps de me sortir de cette impasse. Il peut même se convaincre lui-même et tenter de persuader les autres que de cesser de se geler ou de répéter ses comportements compulsifs maintenant est une idée qui serait désastreuse et une gaffe monumentale, et que les chances de succès seront supérieures s'il remet à plus tard cette tentative de stopper ses comportements compulsifs… lorsque le temps sera plus favorable.    Le dépendant se compare

Ça ne se reproduira plus jamais, en aucun cas!
À la suite d'un épisode particulièrement douloureux ou embarrassant de boire ou de consommations incontrôlées, le dépendant souvent rempli de remords et de sanglots, promet à ceux et celles qu'il a blessé ou lésé que rien, qu'absolument rien ne pourra le faire reboire, reconsommer ou répéter ses comportements compulsifs . Il peut aussi être le premier à s'auto-flageler ou à s'écorcher vif pour son péché inpardonnable, comme démonstration de son esprit de pénitence et pour réassurer ceux et celles qu'il a offensé ou choqué. Bien que ce soit presque toujours efficace une première fois pour diminuer les angoisses et pour soigner les plaies, il perd rapidement de sa valeur lorsqu'il est répété puisqu'il entraîne le scepticisme.

Personne ne va me dire À MOI ce que je dois faire!
Les problèmes causés par la maladie de la dépendance peuvent être esquivés ou voilés par quelque chose comme ces bons vers de Patrick Henry : "Donnez-moi la liberté ou donnez-moi la mort" ("Give me liberty or give me death!"). En se centrant sur la liberté de faire comme il l'entend lire la liberté de sa dépendance d'agir comme elle le commande le dépendant évite la question plus difficile qui se pose concernant la logique et la folie de ses comportements. Le dépendant se donne un air de défi ou de contestation, comme moyen fréquemment utilisé pour l'empêcher de se regarder lui-même.

Je serais OK si ce n'était de toi, c'est de ta faute!
Le dépendant blâme ses comportements compulsifs sur les personnes significatives, habituellement son épouse ou conjointe. Il est plein de ressentiments et de lamentations concernant le sort qui lui est réservé dans cette relation, la façon dont il est traité, et utilise sa "triste" condition pour justifier sa dépendance. Puisque les plus fréquentes causes d'amertumes et de rancoeurs chez les dépendants surgissent de la critique des autres en regard de leurs comportements compulsifs et puisque la réaction caractéristique du dépendant à de telles critiques, c'est une escalade des comportements toxiques, ce processus tend à se perpétuer par lui-même. Le dépendant est assez cruel en exagérant, en mettant en lumière ou en exploitant chaque défaut ou déficience des personnes significatives ou il va jusqu'à en fabriquer pour justifier ou rationaliser ses propres comportements déraisonnables.

Réfléchis bien à tout ce que j'ai fait pour toi!
Un autre truc de culpabilisation orchestré pour désarmer ou pour détourner l'attention des critiques vers autre chose que ses comportements destructeurs. Le dépendant fait référence aux longues heures de travail, aux tâches pénibles de son emploi, au stress professionnel, au cran matériel ou social de sa famille et ce sont des tentatives de gagner la sympathie ou la complicité face à ses comportements qui sont devenus dangereux pour lui-même et pour les autres.

Je n'ai pas de temps (ou d'argent) pour aller chercher de l'aide!
Cet artifice est presque toujours déployé  quand il est question de chercher de l'aide professionnelle ou d'assister à des meetings AA ou de d'autres groupes de support et d'entraide. Si le dépendant fait le premier pas pour demander de l'aide souvent à cause de pressions extérieures la probabilité est de 98 % qu'il ne sera pas d'accord avec la fréquence, l'intensité ou la durée de l'aide recommandée. La minimisation du problème et la fausse croyance que ce problème peut être solutionné par des professionnels très savants dans ce domaine sont des demi mesures qui font plus partie de la règle que de l'exception en matière de dépendances.
 

Je peux régler ça tout seul!
Une autre rationalisation quasiment utilisée partout. Le dépendant reconnaît finalement et croit qu'il a une difficulté majeure, que son problème est significatif mais il est obstiné et refuse de demander de l'aide prétendant qu'il peut composer avec ce problème par ses propres moyens plutôt que de chercher de l'aide auprès de professionnels ou de groupes d'entraide. Parce qu'il ne comprend pas la véritable nature de sa maladie, il suppose que le rétablissement n'est qu'une affaire de volonté et que ce serait superflu ou même une honte, un déshonneur de demander de l'aide alors qu'il devrait pouvoir être en mesure de le faire par lui-même.
  Traduit par Gilles Vinet, Au Centre de la Vie
Les textes originaux en anglais de l'abrégé et de l'exposé se trouvent à l'adresse suivante : http://www.bma.wellness.com/

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