LES CORRESPONDANCES DE LEE
Joëlle P

From: Joëlle P (Suisse)
To: <lee@quandladrogue.com>
Sent: Wednesday, August 27, 2003 1:56 PM
Subject: ..SOS...
Bonjour Lee..

Je me présente.. je m'appelle Joëlle.. je vais avoir 26 ans dans quelques jours.. J'ai correspondu pendant quelques temps avec Christian du site Toxicaide
qui m'a donné votre nom.. il m'a dit que vous pourriez peut-être m'aider..  je me trouve aujourd'hui dans une situation catastrophique.. pour éviter de tout écrire, je vous mets maintenant le témoignage qui figure sur le site Toxicaide afin de vous présenter mon histoire :

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J'ai rencontré Mulot (son p'tit nom !) il y a 4 ans. Ce fût un coup de foudre immédiat.. A cette époque il vivait dans un foyer pour toxicomane depuis déjà quelques
années.. Notre premier contact s'est produit dans le cadre d'un week-end de rencontre entre le choeur où je chantais et le sien, celui du foyer.. La première fois que je l'ai entendu chanté, j'ai été immédiatement saisie..

Il a une voix magnifique.. Nous avons passé tout le week-end ensemble à parler.. de musique surtout.. une passion commune qui ne nous a jamais quitté.. On s'est échangé les adresses et dès notre retour on a commencé à s'écrire et très vite on a commencé à se téléphoner.. On aurait pu parler des heures et des heures.. mais petit à petit les éducateurs du foyer ont commencé à mettre des barrières en disant soi disant que le fait d'avoir des sentiments amoureux pouvait perturber la cure.. je n'étais pas de leur avis.. je pensais qu'au contraire, une nouvelle amitié, un amour qui naît ne pouvait pas le faire perdre la direction qu'il suivait.. Et finalement on nous a séparé.. On avait plus le droit de se voir, de s'écrire ou de se téléphoner.. Ca a duré 6 mois jusqu'à ce qu'il m'appelle le jour de la mort de son grand-père et qu'il était dans sa famille.. Cela faisait des mois que je ne vivais plus.. et enfin je pouvais l'entendre à nouveau.. Peu de temps  après la mort de son grand-père, il est sorti du foyer.. Enfin !! On pouvait
 se voir comme on voulait.. dans mon coeur, dans ma tête je me disais : "C'est bon ! Maintenant on va être ensemble et rien ne pourra nous séparer".. j'étais bien naïve.. A cette période là, on avait parler de son problème avec la drogue.. mais pas trop.. je ne savais pas ce que c'était..
Je pensais que c'était un probème réglé pour lui.. il avait fait ses années au foyer, maintenant c'était terminé.. Mais j'ai très vite déchanté.. Au bout de 3 semaines qu'il était sorti il m'a avoué qu'il avait repris.. je comprenais maintenant mieux les comportements bizarres que j'ai appris à connaître bien plus tard.. J'ai commencé à ouvrir les yeux sur ce monde que j'allais découvrir plus tard.. Tout de suite je lui ai conseillé qu'il fallait qu'il retourne dans une autre maison.. avant que la descente ne soit trop amorçée.. Il a accepté.. Et il est reparti.. pendant 1 an et demi.. 
Nous n'avons eu pendant cette période aucun contact.. mais c'était un choix que nous avions fait.. Si le destin le voulait, il ferait qu'on se retrouve à nouveau.. Et le destin a voulu..

1 an et demi.. j'avais mis du temps à avaler son départ, mais j'avais fini par l'accepter et j'avais tourné la page..
 Un soir il m'a appelé.. c'était en été.. puis le lendemain, puis le surlendemain.. pendant 6 mois, nous nous sommes téléphoné tout les soirs.. On se retrouvait à nouveau.. il allait bien.. il était heureux selon ce qu'il me disait.. on parlait, on parlait.. de nouveau.. comme avant.. c'était même encore plus fort qu'avant.. Mon coeur recommencait à s'emballer.. et 6 mois plus tard, il a décidé de quitter le foyer pour recommencer sa vie.. il se sentait prêt.. et moi aussi je l'étais aussi pour recommencer une histoire avec lui.. ce qui s'était passé l'année d'avant n'avait été qu'un accident de son parcours de rémission.. Je suis allé le chercher là-bas et nous sommes rentrés ensemble..

C'était en décembre 2001, juste avant Noël qu'il est arrivé avec moi.. Ce Noël c'était magique.. il était là.. c'était le plus beau cadeau.. Mais à Nouvel An la magie avait disparu.. Il a fait une "fugue".. et là j'ai compris qu'il avait repris.. Il ne s'était pas installé tout de suite chez moi.. il vivait chez un copain qui était lui même un ancien toxicomane..
Et grâce à ses "connaissances" nous avons pu découvrir qu'effectivement il avait retouché à la came.. Son copain qui avait décroché ne voulait pas le
 garder chez lui.. après ses deux jours de fugues, il m'a appelé pour que j'aille le chercher dans un coin de la ville et je n'avais pas d'autre choix que de l'accueillir chez moi car sinon il était à la rue.. Il est donc venu pour ce qui devait être au début 2 semaines.. qui s'est transformé en 1 an !!
Après ce de-nouveau-mauvais-départ, il a reprit un peu de volonté.. il a commencé un traitement à la métadone.. et pendant quelques mois c'était super.. On vivait ensemble.. on commencait à avoir plein de projets.. et le  14 février.. il m'a demandé en mariage.. j'ai dis oui.. On devait se fiancer au mois d'avril qui approchait.. On avait préparé un week-end de fiancailles à la montagne, le truc bien romantique.. La veille du départ tout s'est écroulé.. je rentre à la maison après le travail, je m'aperçois que l'appartement était en désordre alors que cela faisait des mois qu'on vivait dans un appartement propre et bien rangé (cela peut paraître un détail,
mais cela n'en est pas un dans notre cas..) et là.. dans mon coeur j'ai senti.. et je ne me suis pas trompé.. Il est rentré à la maison et me l'a avoué : cela faisait 1 mois qu'il consommait à nouveau.. Il faut que je précise qu'il est héroïnomane à la base.. J'ai eu peur et je l'ai chassé.. il est parti avec son sac à dos.. je ne souhaite à personne sur cette terre de vivre ce que j'ai vécu ce jour là.. Voir celui qu'on aime partir dans "sa galère" le sac au dos et ne sachant pas où aller dans la ville.. Je savais qu'il n'avait pas d'endroit où dormir pour la nuit qui allait suivre.. Je n'avais pas le choix.. On aurait pu penser que j'étais un monstre, mais j'avais trop peur..
 Quelques mots d'une lettre que je lui avais écrite à ce moment là : " Tes mensonges ont été des coups de couteaux dans le coeur.. C'était pas vrai.. je voulais pas croire à ce que tu m'avais dis.. Pourquoi vouloir le croire si cela détruisait nos rêves ? Pourquoi vouloir croire à une réalité si dure qui nous a rattrapé ? Je me suis culpabilisé de t'avoir laissé partir.. mais petit à petit tu es revenu.. un soir.. pour un café.. puis il y a eu des nuits.. c'est trop dur de mettre des mots sur ce que je ressentais durant cette période.. de la colère, de la tristesse, de l'incompréhension, de l'impuissance.. mais également tant d'amour.." On s'est retrouvé malgré tout.. Notre histoire a été un yoyo.. on me disait souvent que j'avais la psychologie d'une femme battue.. je revenais toujours.. je pardonnais.. on recommencait.. il me faisait plein de promesses à laquelles je croyais !! ça cassait de nouveau.. et de nouveau je  revenais.. etc.. 

Sans rentrer dans trop de détails des anecdotes qu'il y a eu.. la vie commune avec un toxicomane n'est pas originale !! Il a volé beaucoup d'argent.. dans mon sac, sur mon compte en banque.. il a volé des objets qu'il a vendu.. des mensonges horribles.. j'ai trouvé des seringues dans mes affaires.. mais je crois que ce qui me faisait le plus mal, c'est quand il partait "faire une course pendant 5 minutes" et qu'il ne rentrait pas pendant toute la nuit.. des heures à attendre.. à me faire un souci
 inimaginable.. et finalement il m'appelait la nuit pour que je vienne le chercher en ville.. Ca a duré pendant des mois comme ça.. on est bouffée de l'intérieur par l'angoisse.. on doit cependant se lever le matin pour aller travailler.. Et qu'est-ce qu'il faisait la journée ? Où était-il et avec qui ?.. Toute ses questions ont se les pose et puis on les oublie.. elles font parties du quotidien.. Et après on tombe dans un autre créneau.. celui de "l'assistance à son vice".. je lui donnais de l'argent pour que ca aille plus vite, pour qu'il rentre et qu'il ne traîne pas.. A préciser que c'est à cette période qu'il a découvert ce qui allait nous couler : la cocaïne..
Il se l'injecte.. C'est quand il a découvert ça que notre vie est devenu un enfer encore pire qu'avec l'héroïne.. Une consommation compulsive qui l'obsédait sans cesse.. Impossible de reculer et de revenir en arrière.. Après cette période il y a de nouveau eu du "calme".. il est revenu à la maison.. on a déménagé.. on est allé en dehors de la ville.. et je pensais que cela nous toucherait moins.. je ne savais pas qu'il lui fallait encore toucher le fond.. Je ne m'en doutais pas.. Durant cette période de "calme avant la grosse tempête" nous nous sommes fiancés.. je porte encore sa bague aujourd'hui.. 
...
Aujourd'hui cela fait 4 mois qu'il est parti.. A l'heure où j'écris, il est en prison.. Il est parti il y a 4 mois en "claquant la porte".. il n'arrivait plus à se battre.. il m'a dit qu'il avait "choisi".. il est parti dans "la rue".. il est SDF.. il est tout abîmé physiquement.. et je reste là.. toute seule.. avec des cauchemars qui hantent toutes mes nuits.. Moi je  subis son "pseudo-choix".. je ne peux que subir.. 
Je pourrais citer des lignes et des lignes de choses qu'il m'a fait vivre.. 
ce que j'ai vu avec mes yeux de ce milieu que j'ai appris à connaître à travers lui.. de ces autres toxicos que j'ai connus.. 
du mal qu'il m'a  fait.. des mensonges.. des trahisons.. mais je voudrais dire surtout que c'est quelqu'un d'extraordinaire derrière ce "masque".. il est beau.. il est très intelligent.. il est plein de talents.. et il m'a laissé beaucoup de choses positives.. il m'a fait croire en moi.. reprendre confiance en moi.. il m'a montré que j'étais belle.. Je sais que si il n'y avait pas toute cette "m.." on serait ensemble pour la vie.. Mulot c'est mon âme soeur.. on est des "photocopies".. il me manque.. c'est  mon ami, mon frère, mon amant.. il est tout pour moi.. et je voudrais hurler devant son absence.. 

La drogue c'est la pire des prisons.. pour celui qui est dedans bien sûr.. passer ses journées à ne "survivre" que pour ça.. à la chercher partout.. mais c'est aussi une prison pour l'entourage.. J'ai l'impression d'avoir épuiser toutes mes ressources pour l'aider, mais il est parti malgré tout.. "elle" est tellement plus puissante que ce qu'on peut imaginer.. elle prend  tout.. les rêves.. les désirs.. l'amour ! Cette souffrance n'a pas de mots en fait alors je ne dirait que ceci, une phrase du "Petit Prince" (notre livre..) : "c'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante..".. Mulot.. l'oiseau et le poisson peuvent s'aimer.. mais où peuvent-ils construire leur maison ??.. tu  me manque et je t'aime..

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Au moment où j'ai écris ce témoignage mon ami était  en prison.. aujourd'hui il est sorti et on s'est revu.. et c'était super.. on avait recommencé à avoir des projets d'avenir.. j'y croyais.. dur comme fer.. j'ai cru à ces promesses.. Mais hier, il a fugué.. de nouveau.. il est parti.. et j'ai l'impression que toute ma vie s'écroule.. je ne peux pas vivre sans lui.. je l'aime tellement..

Et c'est surtout cette impuissance qui me fait mal.. qui me donne envie d'hurler, de tout casser.. POURQUOI ??? POURQUOI ??? 

On avait des projets d'avenir.. demain nous devions aller à une réunion des Narcotiques Anonymes.. il m'avait l'air tellement décider.. il me disait qu'il m'aime.. qu'il voulait en sortir pour faire notre vie ensemble.. il voulait me faire un enfant.. Mais il est parti.. il ne me donne plus de nouvelles.. Je suis en plein dans le feu.. c'était hier.. mais j'ai l'impression d'avoir pris encore un coup sur la tête.. jusqu'à quand ca va durer cette situation ?? 

Que puis-je faire ??

Christian m'a dit que vous auriez peut-etre des pistes à me donner...?!

s'il vous plait.. aidez-moi..
 Joëlle
 



From: Lee <lee@quandladrogue.com>
To: Joëlle P
Cc: Toxicaide <christian@toxicaide.org>; qldnp1j <qldnp1j@gsig-net.qc.ca>
Sent: Thursday, August 28, 2003 11:42 AM
Subject: Re: ..SOS... 

Chère Joelle,

Tu termines ta correspondance détaillée sur ces lignes bouleversantes «Que puis-je faire ?? Christian m'a dit que vous auriez peut-etre des pistes à me
donner...?!» 

J'ai pris le temps de te lire et de te relire à nouveau pour bien comprendre ta problématique. Ton malaise à deux noms «la codépendance que tu vis face à
la consommation de ton conjoint (héroïnomane et cocaïnomane) et ta dépendance affective qui t'aveugle sur tous les aspects de ta vie».

J'ai à quelques reprises essayé d'aider deux femmes qui continuaient à souffrir dans des relations affectives similaires. J'avais beau leur donner des pistes de solution, leur donner l'écoute virtuelle à travers mes mots mais toujours, mais elles retombaient toujours dans leur monde d'enfer. Souvent, elles lui ouvraient la porte parce qu'il leur disait comment elles étaient belles. Après tant de souffrances, juste de se savoir belles, consolait leurs blessures vis-à-vis leur passé habillé de consommation abusive.

Vois-tu, les consommateurs sont des manipulateurs qui savent exactement quoi faire ou quoi dire pour vous ensorceler et tu es prête, au nom de l'amour à
continuer à vivre les séquelles de cette relation maladive.

Je ne crois pas que nous puissions t'aider car tu es aveuglée par sa présence et peut importe ce que nous dirons, tu continueras à payer le prix
pour que ton histoires insensée continue à polluer les pages de ton l ivre d'histoires et ton avenir.

J'ai passé des mois à consoler, à épauler des femmes qui comme toi, croyaient à l'amour avec un gros A, avec un toxicomane. Et j'ai perdu plus que mes plumes dans ces échanges qui ne mènent vers rien.

Comme tu le sais peut-être, je suis la mère de deux filles qui sont toxicomanes et alcooliques. Ma fille aînée, Emmanuelle, est cocaïnomane. Je connais la force de manipulation de mon enfant. Mais j'ai appris à travers le site, à travers l'entraide que je donne, à travers la lecture des Grands à ne pas me laisser affecter pas ses tentatives déchirantes. Et elle a appris à respecter mes limites personnelles. Elle ne danse plus avec mes émotions fragiles. Et je l'aime avec un détachement d'amour, une démarche qui m'a demandé beaucoup de travail et de discipline. Mais même si elle est le fruit de mon sang, je sais que je suis impuissante devant ses
dépendances. Et je suis prête à l'éloigner si le besoin d'équilibre se fait sentir dans ma vie.

Donc, comme tu peux le constater, j'ai cheminé à travers ma codépendance de mère. Quant à toi, tu  n'as pas cheminé au contraire, je crois que tu as
creusé ton trou pour mieux te cacher, pour mieux te perdre dans ton impuissance de conjointe codépendante et dépendante affective.

Je ne peux pas t'aider car je ne suis pas une spécialiste qui traite avec les femmes qui souffrent désespérement d'être des dépendantes affectives.
Ces femmes superbes qui perdent trop souvent, le contrôle du volant de leur vie, pour la continuation d'une relation sans espoir.

Je ferai parvenir une copie de cette réponse à Christian, mon cher ami et collaborateur. Et à travers la lecture de ma lettre, il comprendra, j'en suis certaine, ma dynamique actuelle et le pourquoi de mon refus de t'aider à trouver des pistes de solution.

Tu sais exactement ce que tu dois faire, tu sais où es la route qui mène vers ton bonheur, mais tu n'es pas prête à la choisir. Et moi, je sais que mon intervention sera sans espoir car tu l'aimes et tu ne peux accepter que cet amour ne peut aller nul part.

Donc, cela m'attriste d'avoir lu ta souffrance mais je te sais intelligente, dévouée et tant plus. C'est à toi, à faire les efforts pour reprendre ta vie en main. Nous ne pouvons t'aider à amener ton bâteau au port du bonheur. Toi seule à ce pouvoir de faire les démarches nécessaires pour l'éloigner de ta vie.

Et finalement, ma fille aînée est aussi souffrante dans le feu de ses émotions et elle continue sa vie dans ses chaussures de dépendante affective. Et je n'y peux rien.

Bonne chance à toi et je prierai pour que tu vois la lumière au bout de ton tunnel. J'espère qu'à la lecture de ma réplique, tu t'ouvriras à ta réalité et que tu te resaisiras pour mieux t'orienter positivement vers un avenir meilleur.

Une équipe à l'écoute «Quand la drogue n'est plus un jeu»

Lee
 

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